Quand la France s'inquiète de l'affirmation de l'identité bretonne

Article de Ar C'hannad

Avec les Bonnets Rouges, puis le grand retour de la question de la réunification, on a vu un type particulier de réponse se développer, en particulier à Paris mais pas seulement, les jacobins bretons étant également touchés. Il s'est agi, le plus souvent, de dénigrer les Bretons dans leur essence même, en leur affublant les pires traits colportés par la longue histoire des clichés à l'égard des habitants de la péninsule, l'un des champions en la matière étant très certainement Jean-Luc Mélenchon, dont les propos ont particulièrement choqué en Bretagne.

Mais, comme le soulignent le sociologue Ronan Le Coadic ou l'ancien journaliste Yannick Le Bourdonnec, ces arguments ont été très souvent répercutés voire même défendus par les grands titres de la presse nationale, Le Monde et Le Figaro en tête, et repris par nombre de commentaires rédigés par les lecteurs. Des propos bien souvent violents et empreints d'une certaine condescendance, quand il ne s'agit pas tout simplement de racisme.

Dans nombre de cas, le rapport est clairement fait entre ces différents mouvements ou revendications et la montée en puissance de l'identité bretonne. Une montée en puissance qu'il est difficile de nier tant les Bretons revendiquant leurs origines sont de plus en plus nombreux. Lors de la finale de la coupe de France de 2009, elle avait été visible pour l'ensemble du pays, tout en gardant un côté festif alors accepté. Mais dès lors que cette identité se double de revendications politiques, la réaction devient toute autre et le rejet se fait sentir.

Pourquoi finalement autant d'animosité face à l'affirmation de l'identité bretonne? D'autant que le plus souvent celle-ci ne s'exprime pas «contre» une identité nationale mais bien de manière positive, comme une construction personnelle amenant à créer un lien avec un territoire, une culture et une histoire. La réponse est sans doute dans les propres interrogations de la France face à sa propre identité.

Car lors de l'affirmation des identités nationales, durant la seconde moitié du XIXe siècle, celle-ci s'est faite le plus souvent en opposition à celle des voisins. Nous étions Français avant tout parce que nous n'étions pas Allemands ou Britanniques. Une question identitaire qui n'est pas sans lien avec la montée des nationalismes qui conduiront, en premier lieu, à la Première Guerre Mondiale.

Mais depuis la fin du second conflit mondial, cette opposition n'a plus lieu d'être. Au travers de la construction européenne, elle s'est même peu à peu résorbée. L'identité française a pu, dans un second temps, se reposer sur la question de défense de l'Empire colonial pour raffermir sa réalité. Mais c'est avant tout la réussite économique du pays jusqu'au début des années 80 qui a permis de maintenir l'absence d'un quelconque questionnement sur le sujet.

Le fait de voir la question revenir sur le devant de la scène durant le quinquennat de Nicolas Sarkozy est tout sauf anecdotique. Et si les raisons qui ont amené à ce débat sont sans doute mauvaises (avant tout la volonté de démontrer qu'une minorité de Français n'avaient pas leur place dans la République) il n'en reste pas moins que la question était légitime. Car entre l'américanisation de la société française, malgré la défense de l'exception culturelle, et la mondialisation, la façon dont la France doit trouver sa nouvelle place dans ce vaste ensemble est essentielle.

Mais dès lors, qu'ont en commun un Breton, un Alsacien, un Basque, un Corse ou un Occitan, dont les modes de vie, la mentalité, les valeurs, les langues d'origine, les influences culturelles, les traditions culinaires, bref, tout ce qui fait l'identité, sont souvent très différentes? Peu de chose au final, si ce n'est les symboles nationaux: l'intégrité du territoire, le français, le drapeau et le «Liberté, Egalité, Fraternité» dont beaucoup ne reconnaissent plus l'application dans la France d'aujourd'hui. Reste sans doute, dans une certaine mesure, une volonté de vivre ensemble bien souvent oubliée par ceux qui craignent l'affirmation des identités.

C'est symboliquement beaucoup mais techniquement peu. Car l'Histoire nous rappelle à quel point les symboles évoluent et ne restent pas longtemps au centre des attentions des peuples. L'identité française doit donc se reconstruire en tentant de trouver de nouveaux dénominateurs communs, que la faillite politique d'une génération en manque de charisme mais dirigeant les affaires du pays depuis près de 10 ans est incapable de recréer.

Dès lors, l'affirmation d'identités au sein même de la République est vécue comme une agression de l'intérieur. Ce n'est pas un hasard si le retour à leurs racines des jeunes Musulmans français est vue comme une provocation à l'égard de l'une des notions centrales de la République moderne, la laïcité. Face aux interrogations sur l'identité française, les valeurs centrales telles que cette laïcité sont défendues becs et ongles comme des acquis de cette identité, au risque de répondre à la montée de l’extrémisme religieux (de tous bords) par un extrémisme laïc qui trouve son expression dans les multiples déclarations en la matière du Premier ministre, Manuel Valls.

L'affirmation de l'identité bretonne, au même titre que celle de l'identité d'autres minorités françaises, est d'autant plus mal vécue qu'elle n'est pas le fruit de descendants de l'immigration mais bien du cœur même de ce que l'on considère comme étant le «peuple» français, dans la mesure où le Conseil Constitutionnel a rappelé en 1990 qu'il n'existait pas d'autre peuple en France. Elle est dès lors vue de la même manière que l'identité française s'est construite, à savoir comme une opposition, mais contre la France cette fois-ci.

Le paradoxe est que l'immense majorité des Bretons ne rejettent pas leur appartenance à la France. Le regard que beaucoup portent sur le pays est plutôt celui d'une nation qui n'a jamais su reconnaître les mérites des Bretons, malgré tout les sacrifices acceptés par ces derniers pour la défendre. Si, depuis le rattachement de la Bretagne au royaume de France, les Bretons ont prouvé leur allégeance à la France, la méfiance dont cette dernière a fait preuve à leur égard et le peu de reconnaissance de sa part ont longtemps été mal vécus. Et le sont toujours aujourd'hui pour bon nombre de Bretons ayant conscience de l'Histoire de leur territoire.

L'affirmation de l'identité bretonne ne se fait malgré tout pas contre l'identité française, elle est une affirmation par elle-même, par ses spécificités, par ce qui la différencie non pas des autres Français mais du reste du monde, c'est son caractère unique à bien des égards qui lui permet d'exister aujourd'hui. Et la fierté d'avoir survécu à l'effort d'éradication qu'elle a dû affronter, en particulier depuis le début de la IIIe République.

Il n'en reste pas moins que, si aujourd'hui l'identité française semble se construire sur le mode du repli, celle du village gaulois se défendant contre le vaste monde l'agressant de toutes parts, la remettant en cause dans ses fondements mêmes, l'identité bretonne reste plus que jamais ouverte sur l'extérieur, loin de l'image de repli que l'on souhaite lui donner vue de Paris. Elle est tournée vers l'Europe et le reste du monde, basée sur le sentiment que si les Bretons ne peuvent rien accomplir s'ils n'ont pas conscience de leur destin commun, ils ne pourront pas beaucoup plus à se barricader derrière des palissades pour défendre leur pré carré. Et en cela le reste de la France pourrait sans doute se nourrir de ce qui porte l'identité bretonne.

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Commentaire de Patrick Parmentier le 29 avril 2014 à 14:51

L'identité française est exclusive : une terre, un peuple, une langue. Il n'y a pas de place pour une identité bretonne, basque, corse, etc. C'est le principe fondateur de la république française.

Comme le dit ar gov les bretons et les autres minorités n'ont pas d'avenir dans cette France là. Un espoir de changement ? Je n'y crois pas vu le repli identitaire français auquel nous assistons ! Tout ce que nous avons nous l'avons, malheureusement, obtenu contre la volonté de l'état.

Commentaire de christiane charrier le 28 avril 2014 à 23:40

je me sens beaucoup plus bretonne que française. dans toutes les pièces chez moi il y a un drapeau breton 

Commentaire de Maodan le 28 avril 2014 à 21:48

Les bretons sont partout en France et dans le monde, Paris n'a pas à se faire de soucis, nous seront toujours là

Commentaire de ar gov le 28 avril 2014 à 20:11

Je ne sens plus du tout français car les Bretons et la Bretagne, n'ont aucun avenir dans cet état jacobin qui nous méprise. Nous sommes excédentaires en matière d'économie et fiscalement, et la Bretagne enrichie la France et non l'inverse. gardons notre richesse pur travailler avec le monde, et la France si elle le souhaite, mais pas dans la soumission et le déficit démocratique flagrant qu'elle nous impose.

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