La réforme territoriale à l’épreuve de la démocratie française

39 députés pour voter sur l’amendement présenté par les députés Jean-Luc Bleunven et Thierry Benoît jeudi 20 novembre à l’Assemblée nationale. Sur 577 députés, ils n’étaient pas nombreux à être présents. Il s’agissait pourtant de défendre le droit d’option simple, un assouplissement du droit d’option tel qu’il est pour l’heure prévu par les textes, lequel prévoit non seulement un accord du département mais également des deux régions concernées par un éventuellement changement, ainsi que, le cas échéant, celui des citoyens, le tout à la majorité qualifiée.

Comme d’autres, MM Bleuven et Benoît voulaient simplifier ce droit, en l’amenant à la majorité simple, dans le but évident, ici, de permettre à terme à la Loire-Atlantique de faire jouer ce droit d’option sans se retrouver entravée par les Pays-de-la-Loire si cela devait se produire. Pour cette question, qui au final concerne peu de territoires, les députés ne se sont, semble-t-il, pas passionnés puisqu’ils n’étaient que 39 présents.

La veille, pour voter la carte définitive des régions, qui corrigeait les changements faits au Sénat, ils n’étaient, au plus fort de la journée, que 80 présents. Cela peut paraître peu, comparé au nombre de parlementaires, mais ça peut être pire. Pour le vote d’un amendement sur le projet de loi relatif à la désignation des conseil des prud’hommes, un autre sujet important, également examiné le 20 novembre, seuls onze députés étaient présents dans l’hémicycle.

De nombreuses raisons expliquent un tel absentéisme au moment des votes. La première, et la plus évidente, est que le travail parlementaire ne se résume pas à la présence dans l’hémicyle, plus encore quand il ne s’agit que d’amendements ou de valider l’un ou l’autre des articles d’un projet de loi, il est bien plus vaste et complexe que cela, entre présence dans la circonscription, participation aux commissions, etc. D’autre part, les parlementaires n’étant pas des machines, ils ont eux aussi besoin de se reposer, surtout lorsque les débats se poursuivent jusque tard dans la nuit. Ils s’organisent donc pour assurer une présence de leur groupe parlementaire tout au long du débat.

Mais cela peut être mal vécu par les citoyens, qui n’ont dans, dans ces conditions, pas toujours le sentiment d’être correctement représentés. Sur les amendements Bleuven-Benoît mais également Molac-de Rugy pour demander la réunification de la Bretagne, beaucoup de députés bretons n’étaient pas présents, pour un vote hautement symbolique pour leur région. Ici, les raison de leur absence est à chercher ailleurs, sans doute dans la volonté de ne pas risquer de se mettre en porte-à-faux ni avec leurs électeurs ni avec leur parti, en ne prenant tout simplement pas position. Certains ont même voté contre, ce qui est bien entendu leur droit le plus strict. Cependant, depuis, les noms des députés avec leurs votes sur ces amendements circulent dans différents cercles, mécontents du résultats.

La réelle question que pose cette participation, c’est avant tout celle de l’approche démocratique. Sur un sujet aussi important que la réforme territoriale, véritable marqueur du quinquennat de François Hollande, avec une influence directe sur la vie quotidienne et la représentation que se font l’ensemble des citoyens de leurs territoires, on aurait pu espérer une plus grande implication des députés. Ou mieux, un vrai débat s’adressant directement aux citoyens, en les laissant eux-même choisir, ce qui aurait été, au final, la plus censée des approches, toujours d’un point de vue strictement démocratique.

Dans la période actuelle, marquée par une défiance de plus en plus forte à l’égard de la classe politique, cela aurait été sans doute le meilleur choix à faire. Laisser les citoyens s’exprimer afin de savoir réellement ce qu’ils souhaitent, au-delà des enquêtes d’opinion qui, en définitive, ne veulent pas forcément dire grand chose, même si elles donnent des indications. Ce choix, ni le gouvernement ni les députés ne l’ont fait. Au nom de la démocratie justement, certains ont même défendu le fait de maintenir en l’état le droit d’option, en le rendant plus complexe. Motif invoqué : pour un sujet aussi essentiel il faut une majorité qualifiée.

Le paradoxe désormais est qu’il est bien plus facile de quitter la République que de simplement modifier une limite administrative. Pour les députés, le droit d’option a été considéré comme une décision suffisamment importante pour justifier qu’elle obtienne bien plus que la simple majorité absolue, comme c’est pourtant le cas pour n’importe quel scrutin classique. Dans le même temps, si demain la Nouvelle-Calédonie vote pour son indépendance, dans le cadre du référendum d’autodétermination qui doit se tenir d’ici à 2018, celle-ci sera bien obtenue sur la base de 50% des suffrages exprimés plus une voix en ce sens, en aucun cas à une quelconque majorité qualifiée, comme pour un changement de région pour un département. Les conséquences seraient pourtant autrement plus importantes mais viendrait-il à l’idée des parlementaires de réclamer ici la majorité qualifiée?

Sous-jacente, se trouve la crainte de voir les départements modifier en profondeur la carte des régions, en cas de droit d’option simple. Pourtant, le grand chambardement tant redouté n’était, semble-t-il, pas à l’ordre du jour. Outre la Loire-Atlantique, à peine une demi-douzaine de départements, sur les 95 que compte la France métropolitaine, auraient pu se montrer tentés par une telle solution, si l’on en croit Libération et l’Express, qui ont cherché à en savoir plus sur la question. Des changements qui n’auraient donc pas concerné plus de trois ou quatre régions, à la marge le plus souvent, qui plus est, à la notable exception donc, de la Loire-Atlantique.

L’autre grande leçon de ce débat parlementaire est que la Bretagne politique n’existe pas. Le sociologue Tudi Kernalegenn le soulignait déjà dans nos colonnes, lors de l’interview qu’il nous avait accordé au sujet des Bonnets Rouges, cela a été encore plus criant à l’Assemblée nationale. La Bretagne politique, aujourd’hui, au niveau national, et même régional, se limite à une poignée d’élus bien trop isolés pour pouvoir réellement agir, il n’y a pas d’approche bretonne des questions concernant la région, que la majorité des élus préfèrent éluder, de peur de se faire taxer de régionalisme. De peur également de se retrouver en opposition avec les partis politiques français dont ils sont membres.

Si une offre politique strictement bretonne existe, variée qui plus est, cette dernière n’a, contrairement à la Corse ou au Pays Basque, toujours pas encore su convaincre les électeurs, ni même , sans doute, se faire entendre d’eux. Un constat déjà criant lors de la publication, par le mensuel Bretons, d’un sondage sur l’indépendantisme en Bretagne, début 2013, qui mettait en avant qu’environ 20% des personnes interrogées se déclaraient en faveur d’une indépendance, un score que sont loin d’atteindre, en cumulé, des formations comme le Parti Breton, l’UDB, Breizh Europa et Breizhistance, pour l’heure tout du moins.

Il est évident que l’une des explications majeures se situe dans le fait que, jusqu’à présent, les Bretons ont toujours été très légitimistes, les poussant à accorder leur confiance aux partis de gouvernement, dont les représentants locaux ont toujours fait preuve d’une certaine modération, tout en jouant à bon escient la carte bretonne, soit par opportunisme soit par conviction, ce qui convenait pour l’instant aux électeurs. Cela sera-t-il toujours le cas? C’est visiblement le pari fait par un certain nombre de députés bretons, qui semblent sûrs du fait qu’ils ne seront pas sanctionnés électoralement pour leur manque de soutien à la question de la réunification. Les prochains scrutins permettront d’avoir une première tendance pour juger s’ils ont eu raison ou non

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