Face à la barbarie, la défense des valeurs démocratiques et la tolérance comme réponse

La majorité des journalistes le savent, exercer cette profession peut être dangereux. Si beaucoup de nos confrères le vivent au quotidien dans leur pays, les journalistes occidentaux savent en revanche que ce risque vient avant tout du fait de couvrir des zones dangereuses, afin de rendre compte de ce qui s’y passe. Un risque accepté car il est inhérent à l’endroit où l’on se trouve. Mais c’est tout autre chose lorsqu’il s’agit de se rendre à une conférence de rédaction, un mercredi matin en plein cœur de Paris. Aucun d’entre nous ne peut imaginer un seul instant qu’il ne rentrera pas chez lui le soir.

C’est pourtant ce qui s’est produit pour les employés de Charlie Hebdo en ce mercredi 7 janvier 2015, qui marque un sinistre précédent. Pour la première fois dans une démocratie, qui plus est en paix, une rédaction a été la cible d’une attaque meurtrière. Un acte barbare, le mot n’est pas trop fort, tant la violence face à ces personnes paraît être en totale contradiction avec une réaction civilisée.

Je l’admets sans la moindre difficulté, je n’aime pas Charlie Hebdo. Je n’ai jamais trouvé drôle cette publication, dont le ton m’a souvent paru grossier. Un titre qui fait preuve à mes yeux d’un certain degré d’intolérance et au final d’une certaine dose de fanatisme, quand bien même il est laïc. Pire, il m’a régulièrement semblé que Charlie Hebdo a tendance à flirter avec le racisme. Pour autant, Charlie Hebdo est essentiel.

Il l’est au même titre que Le Monde ou le Figaro, que l’Humanité ou Minute, que le Canard Enchaîné, Mediapart, Ouest France ou même nous, ici-même, à notre petite échelle. Essentiel car il participe à la diversité de l’information, à la circulation des points de vue, des idées, à susciter et nourrir le débat politique, sociétal, philosophique. Autant de choses sans lesquelles la démocratie ne peut pas perdurer. Et c’est en cela que s’attaquer à Charlie Hebdo est s’attaquer aux fondements même du système démocratique.

Ce système, les extrêmes, d’où qu’ils soient, cherchent à le mettre à bas. Il ne s’agit pas de faire l’apologie de la démocratie française, elle est nécessairement perfectible, chacun en conviendra. Mais, comme disait Winston Churchill, «la démocratie est le pire système, à l’exception de tous les autres». Et en cela il mérite d’être défendu. Plus encore pour les valeurs de liberté, quelles qu’elles soient, qu’il implique.

Mais pour ses adversaires, la démocratie est faible et basée sur des valeurs, justement, que les Etats démocratiques seraient prêts à rejeter à la première occasion. Cela a toujours été le but des actes terroristes perpétrés par les extrémismes, religieux comme politiques: prouver que ces valeurs ne sont rien au final. Cela a parfois marché par le passé malheureusement, comme le rapport américain sur l’usage de la torture par la CIA l’a tristement rappelé.

Et parfois cela échoue. Comme à la suite de l’attentat particulièrement sanglant perpétré par le militant d’extrême droite norvégien Anders Behring Breivik en juillet 2011, qui avait provoqué la mort de 77 personnes, dont l’immense majorité avait moins de 20 ans. Dans un pays sous le choc face à l’horreur de cet acte, le Premier ministre d’alors, Jens Stoltenberg, avait assuré que «La Norvège répond à la violence par plus de démocratie, plus d’ouverture et une plus grande participation politique».

Ce combat, visant à renforcer les valeurs de la démocratie, en répondant à la violence par la préservation de la liberté de la presse et la liberté d’expression, par la tolérance et l’ouverture, est le meilleur moyen, le seul semble-t-il, de rappeler à quel point ces valeurs ne sont pas de simples mots mais ont bel et bien une signification réelle contre laquelle aucun acte criminel ne pourra lutter.

Le deuxième combat qu’il faudra mener sera celui contre l’amalgame qui ne manquera pas de se faire dans les prochains jours. Déjà sur les réseaux sociaux, des voix s’élèvent pour affirmer que cette attaque vient mettre un terme définitif à l’idée même d’un multiculturalisme en France. Demain la communauté musulmane française sera montrée du doigt, par certain, peut-être en nombre croissant, même si de plus en plus de personnalités politiques appellent déjà à ne pas céder aux raccourcis.

Car agir de la sorte, faire cet amalgame, revient à considérer que les trois hommes qui ont mené cette attaque peuvent se revendiquer comme les porte-paroles de millions de Français, Musulmans d’origine, pratiquants ou non, rigoristes ou pas, Maghrébins, Maliens, Sénégalais, Comoriens ou d’autres origines, parfois en France depuis le début du XIXe siècle, comme le rappelait fort justement l’excellent «Une France Arabe», du professeur australien Ian Coller. En faire même les porte-paroles de l’une de leurs victimes, un des policiers abattus, prénommé Ahmed.

Eviter l’amalgame consiste, entre autres, à cesser de considérer comme des combattants de Dieu des gens qui se revendiquent comme tel. Agir au nom d’une religion ne veut pas dire que cela va dans le sens de cette religion. Aujourd’hui revenu à son message de paix, le Catholicisme en sait quelque chose, tant l’Histoire reste chargée de crimes commis prétendument en son nom. Il en va de même désormais pour l’Islam, de la part de jeunes hommes qui, bien souvent, ne possèdent pas la connaissance de la religion qu’ils prétendent défendre. Il est temps de cesser de leur accorder ce statut qu’ils souhaitent se donner.

Même dans un cas aussi symbolique que Charlie Hebdo, une attaque de ce genre ne vise pas seulement ceux qui en sont la cible. En plus de chercher à démontrer la faiblesse des valeurs démocratiques, les extrémistes se revendiquant de l’Islam veulent démontrer à la Oumma, la communauté des Musulmans, qu’ils n’ont pas leur place en Occident. En cela, ils rejoignent totalement les adeptes de l’amalgame.

Ils veulent prouver que la tolérance dont prétendent faire preuve les démocraties n’est qu’une façade, en aucune manière une réalité. Pour ensuite pousser les Musulmans d’Occident, pratiquants ou non, à «revenir dans le droit chemin» et combattre à leur tour. En cela, lutter contre l’amalgame est salutaire, car il démontre à quel point l’extrémisme conduit à l’aveuglement. Ces armes peuvent paraître bien puériles et inoffensives, elles sont pourtant les seules réponses raisonnables et raisonnées à apporter face à un acte aussi sordide. Au-delà de la réponse judiciaire qu’il convient d’apporter.

L’attentat contre Charlie Hebdo rappelle une chose enfin à chaque journaliste. Que le fait de prendre un stylo, un ordinateur, un micro ou une caméra pour raconter quelque chose est un acte qui est tout sauf anecdotique. Il s’agit d’un acte fort, quel que soit le sujet abordé car il participe à l’un des fondements même de notre démocratie. En cela nous devons avoir conscience de notre responsabilité.

Plus encore dès lors que certains d’entre nous ont payé, et payeront encore, de leur vie pour avoir exercé ce rôle fondamental. Peut-être plus encore demain qu’hier, nous devons garder en mémoire ce qu’implique la liberté d’expression qu’est la nôtre et notre mission d’information à l’égard de nos lecteurs, auditeurs, téléspectateurs. Sans doute le meilleur moyen de rendre hommage aux 12 personnes qui ont perdu la vie ce 7 janvier 2015 à Paris pour avoir fait ce que nous faisons quotidiennement.

En attendant, toutes nos pensées vont vers les seules personnes qui souffrent et souffriront pour longtemps de cette horrible tragédie, les familles et les proches des dessinateurs, policiers, journalistes, réceptionniste et économiste qui ont perdu la vie en cette journée funeste. Nos plus sincères condoléances pour votre terrible perte.

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