Les îles, premières victimes du manque de moyens des collectivités

Depuis plusieurs semaines à présent, les habitants des îles du Morbihan sont en colère. Une colère qui s'exprime par différentes formes d'actions, dont des manifestations, avec l'usage d'un vêtement comme signe représentatif, le ciré jaune. En cause, l'augmentation des tarifs des traversées pour les résidents et les marchandises, entre le continent et les îles de Belle-Île en Mer, Hoëdic, Houat et Groix, tout particulièrement.

Une traversée assurée, grâce à une délégation du service public, par une compagnie appartenant à Transdev, multinationale des transports, filiale commune de la Caisse des Dépôts et Consignation (CDC) et de Veolia Environnement, une entreprise également impliquée dans la situation chaotique de la SNCM en Méditerrannée. En Bretagne Sud, c'est donc sa nouvelle grille tarifaire qui passe mal.

Principale cible des îliens, le Conseil Général du Morbihan, et tout particulièrement son président, l'UMP François Goulard, accusés d'avoir validé ces nouveaux tarifs sans chercher à prendre en compte l'intérêt des résidents. Ce a quoi le département répond que, si cela n'avait pas été fait, Transdev pourrait faire le choix de se retirer, sans forcément qu'une entreprise vienne prendre le relais, provoquant l'isolement des îles concernées.

Une situation qui révèle la position de force dans laquelle se trouve ces entreprises lors de la négociation de délégations de service publics. Qui pose également la question de la problématique de ces délégations. Un choix d'externalisation des coûts pour les collectivités locales, qui a pour vocation de ne pas trop peser sur leurs dépenses, une donnée essentielle lorsque leurs finances sont sous pression, en particulier de l'Etat qui voit les collectivités territoriales comme une source possible d'économies.

Ce qui n'empêche pas le département de dépenser dans un cas comme celui-ci. Car dans le cadre des négociations de délégation de service public, la tarification est bien souvent un élément essentiel. Et pour permettre un tarif accessible, en particulier aux résidents des zones concernées, les collectivités territoriales financent en partie les transports, prenant en charge une partie de la somme demandée par la compagnie, dans la limite de leurs moyens bien souvent, fatalement réduits dans une période comme actuellement. Et lorsque le département n'a plus suffisamment d'argent, il ne peut pas amortir une éventuellement augmentation des tarifs. La laissant dès lors aux usagers.

Des usagers qui se retrouver à payer doublement. Par leurs impôts d'une part, via le financement public, dans le cadre de la solidarité de l'ensemble des habitants du territoire, via le prix des traversées d'autre part. Avec un risque réel, avant tout pour l'économie même de ces îles, qui ne repose pas uniquement sur le tourisme mais également sur un réseau de petites entreprises dont l’approvisionnement et la livraison de leurs marchandises dépendent totalement de la compétitivité des tarifs de traversée appliqués.

Mais ce qui serait encore plus préjudiciable pour ces entreprises, comme pour l'ensemble des îliens, qui sont nombreux à travailler sur le continent, ce serait que la traversée ne se fasse tout simplement plus. Afin d'éviter un tel risque, la seule possibilité serait qu'une régie publique prenne le relais dans l'éventualité ou le privé refuserait la délégation. Que de délégation de service public, on repasse à un service public, financé par la solidarité territoriale, le but premier des impôts à la base.

Cela reviendrait à réfléchir sur l'état des finances des collectivités territoriales et leur revenus. Or, dans un cas comme dans l'autre, la situation est pour l'heure bloquée par l'Etat. Bien que les collectivités territoriales ne représentent qu'à peine 10% de la dette publique, elles sont parmi les plus mises au régime sec, véritable variable d'ajustement du budget, avec plus d'un tiers des économies prévues qui viennent les impacter. Une situation rendue possible par l'absence même d'autonomie des collectivités dans la collecte de leurs ressources, ces dernières dépendant totalement du bon vouloir de l'Etat. Rompant au passage le lien existant entre les citoyens et son territoire de vie.

Le mécontentement des îles morbihannaises pose en définitive deux questions. Tout d'abord celle de la délégation de services publics. Car par définition, un service public n'a pas pour vocation d'être une entreprise rentable mais bien de «rendre service» à la population. Il ne s'agit bien entendu pas de le faire à fonds perdus mais de rentrer dans les frais de l'entreprise publique. Or l'objectif d'une entreprise privée est, fort logiquement, de faire du profit. Deux objectifs qui sont difficilement compatibles, comme le montre parfaitement la question des tarifs de traversée. Et qui met en lumière la nécessité de régies publiques dans des domaines où le privé ne souhaite pas s'engager, ou sans faire les efforts nécessaires.

Ce qui pose la seconde question, tout aussi essentielle, celle des finances des collectivités territoriales. De leur autonomie fiscale d'une part, de leur capacité à agir pour le bien de leurs administrés d'autre part. Des points qui ont été largement absents de la réforme territoriale jusqu'à présent, qui sont pourtant centraux car ils impliquent directement la relation entre collectivités et citoyens. L'incapacité d'agir des collectivités pose aujourd'hui le problème de la structuration même des territoires.

En creux, c'est la question même de l'égalité des citoyens qui est en jeu. A-t-on le droit aux mêmes possibilités de déplacements, à pouvoir aller au travail ou assurer la survie de son entreprise lorsque l'on fait le choix de vivre sur des territoires plus retirés, en campagne ou dans les îles plutôt que vivre dans de grands centres urbains? A l'heure où les métropoles doivent être mises en place, avec des moyens importants et sur le principe, déjà largement connu concernant Paris, de ce qui sera bon pour elles sera bon pour l'ensemble du territoire, cette question est on ne peut plus pertinente. Dans une région telle que la Bretagne, où l'équilibre des territoires est essentiel, il s'agit même d'une question centrale.

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