La réforme territoriale nécessite plus de sens de l’intérêt général

Il ne semble pas se passer une semaine sans qu’une nouvelle carte apparaisse, modifiant à chaque fois un peu plus le projet gouvernemental des nouvelles régions françaises. Alors que Manuel Valls, le Premier ministre, avait tout d’abord annoncé que la carte présentée par l’Elysée le 2 juin n’était qu’une première étape et qu’il appartiendrait aux députés de la modifier pour la rendre plus compatible avec les réalités, il avait dans un second temps reculé, affirmant qu’elle ne pourrait pas bouger sans arrêt et que les modifications ne pourraient se faire qu’à la marge.

Mais depuis, le débat n’a cessé d’enfler. Et l’annulation par le Sénat de l’article 1er de la loi sur la réforme territoriale, qui dessinait précisément cette nouvelle France, un travail de reconstitution a dû être effectué par l’Assemblée Nationale. Avec une première modification à la clé, votée par la commission des lois, et mettant fin à la vaste région regroupant Centre, Poitou-Charentes et Limousin, pour voir ce dernier rejoindre finalement l’Aquitaine. Un modification qui ne reste cependant que marginale, comme voulu par le Premier ministre

La nouvelle carte, présentée par le rapporteur du projet de loi, le député de l’Essonne Carlos da Silva, par ailleurs suppléant de Manuel Valls, semblait donc être la bonne, celle sur laquelle les députés auraient à se prononcer, avant un retour au Sénat. Mais depuis, une nouvelle carte a montré le bout de son nez, d’abord dans le quotidien régional Sud-Ouest, avant que le magazine économique Challenges ne la relaie à son tour.

Ce nouveau découpage, serait l’oeuvre du groupe de travail pour la reconfiguration des régions, de l’Assemblée Nationale, et présenté par le député socialiste de Gironde Philippe Plisson. Une carte bien plus ambitieuse que celle de l’Elysée puisqu’elle prévoit non pas 14 mais 12 régions, au lieu de 22 actuellement. Un nombre qui correspond mieux aux volontés de l’exécutif puisque le président de la République puis le Premier ministre avaient dans un premier temps fait part de leur volonté de diviser par deux le nombre de régions. Mais à l’Ouest, cette nouvelle géographie est marquée par un coup de théâtre: la création d’une région Val-de-Loire et la réunification de la Bretagne.

Alors que, depuis quelques jours, circulaient la rumeur d’un lobbying intense de la part de l’ancien Premier ministre, et toujours député de Loire-Atlantique, Jean-Marc Ayrault auprès de ses collègues bretons pour faire avancer l’idée de la fusion entre Bretagne et Pays-de-la-Loire, l’apparition de cette nouvelle carte peut surprendre. Elle démontre à quel point la réforme territoriale fait l’objet d’intenses négociations, discussions, pressions en tout genre dans les coulisses de l’Assemblée Nationale et que les forces qui tirent dans des directions opposées sont nombreuses.

Elle est également la démonstration que, malgré ses coups de menton et sa volonté de paraître intransigeant, le Premier ministre Manuel Valls est bien en peine d’imposer quoi que ce soit aux députés socialistes dès lors que ces derniers souhaitent réellement défendre un point. Comment pourrait-il en être autrement de toute manière, pour un homme qui ne représentait que 5% lors des primaires socialistes il y a moins de trois ans.

Cette carte est par ailleurs la preuve que, si l’idée de la réforme fait consensus, la manière dont l’exécutif la mène ne semble franchement pas adéquate. Car en voulant en faire un élément de relance du quinquennat, l’Elysée s’est un peu précipité dans l’annonce de sa carte, donnant avant tout le sentiment de chercher à ménager la chèvre et le chou et de l’avoir dessiné au petit bonheur la chance, en fonction des réactions des uns et des autres, la modifiant jusqu’au tout dernier moment.

Le problème de cette totale impréparation et de ces tergiversations est également de rendre inaudible un éventuel débat sur les éléments de fond. Avec l’attention focalisée sur les questions de périmètre, qui dans l’opinion publique serait à même d’expliquer ce que la réforme territoriale va représenter en terme de transfert de compétences et de moyens allouer aux régions? Pas grand monde.

Car au-delà de l’aspect territorial, qui ne présente pas le même intérêt partout, se pose non seulement la question de vrais pouvoirs accordés aux régions, des pouvoirs qui dépasseraient le stade des simples effets d’annonce, mais aussi, et plus encore, celle des moyens dont disposeront les futures régions, afin de pouvoir mener à bien les politiques découlant de ces nouvelles prérogatives. De ces deux points essentiels dépendra au final l’efficacité de la réforme territoriale.

Mais en la présentant avant tout comme un moyen de faire des économies, en réduisant les échelons, l’Etat a sous-entendu pour l’instant que les niveaux locaux seraient particulièrement dispendieux. Une attitude qui ne présage rien de bon quant aux futurs transferts de moyens et par ailleurs mensongère, tant la part des collectivités locales dans le déficit public est faible, au regard de celle de l’Etat.

Les collectivités ont en effet leurs budgets sous contrôle très strict, ne leur laissant que peu de possibilité pour les laisser filer, à l’inverse de l’Etat, à tel point qu’aujourd’hui, leur dette ne représente que 10% de la dette publique totale. Un niveau faible alors qu’elles sont les premières mises à contribution dans la recherche des 50 milliards d’euros d’économie annoncés par le Premier ministre. Manuel Valls ne l’a d’ailleurs pas caché, la simplification des échelons locaux doit permettre de dégager ces économies.

Pourtant, dans le même temps, M. Valls a admis que la réforme territoriale n’amènerait pas les économies annoncées jusqu’alors. Lors de récentes questions au gouvernement, au Sénat, le Premier ministre a même fini par reconnaître que les seules économies possibles proviendront des synergies issues de la fin de la mise en place des intercommunalités, que les doublons existaient avant tout à ce niveau. En d’autres termes, ni la réduction du nombre des régions ni l’éventuelle disparition des départements ne permettront de faire de réelles économies.

Quant à la simplification administrative, elle reste encore à démontrer également, dans la mesure où, si les collectivités locales sont mises à contribution, le cœur de la machine, les administrations de l’Etat dans les régions et les départements, ne devrait pas suivre le même mouvement. A aucun moment il n’a été annoncé que le niveau administratif des départements disparaîtrait, ni que les préfectures de régions suivraient le nombre de régions politiques. Or les lourdeurs administratives sont bien souvent du côté de l’appareil d’Etat, bien plus que des services des collectivités.

Certes, des précisions viendront, mais plus tard, en particulier sur la question des compétences et des moyens. Pourtant, pourquoi ne pas avoir tout fait? Et que se passera-t-il si, demain, une fois la nouvelle carte des régions actée, ces dernières basculent majoritairement à droite, quelle sera alors la volonté du gouvernement de renforcer leur autonomie, de leur donner des réelles possibilités d’agir?

En faisant le choix de travailler par étape, le gouvernement a également fait celui de, le moment venu, peut-être privilégier l’attitude partisane à une réelle révolution territoriale. D’autres l’ont fait avant le Parti Socialiste. Nicolas Sarkozy, en plaçant les moyens des collectivités entre les mains de l’Etat via les dotations, n’a pas agit autrement, tentant d’affaiblir du même coup le pouvoir, déjà faible, de Conseil régionaux presque tous socialistes. Mais à l’époque, le PS avait protesté, suivre désormais cette voie de sa part, quand bien même il perdrait les régions, serait illogique et irresponsable.

La question dépasse pourtant largement les partis. Il s’agit de savoir si la France est prête à, enfin, entrer au XXIe siècle en adoptant une organisation politique plus adaptée à l’époque. Une organisation qui aurait par ailleurs sans doute le mérite de redynamiser la démocratie dans le pays, en rapprochant une partie de la prise de décision des électeurs, leur apportant au passage la possibilité d’y contribuer un peu plus. Une possibilité enfin de gagner en réactivité et de permettre aux différents territoires composant l’Hexagone de faire ce qui leur convient le mieux, au lieu de chercher à calquer indéfiniment les mêmes méthodes partout.

La réforme territoriale peut être, en plus d’un marqueur pour le président Hollande, l’avancée la plus importante que la France d’après-Guerre aura connu, qui permettra la reconnaissance des spécificités régionales et des talents qui y sont présents, tout en renforçant le sentiment d’appartenance à une nation en paix avec elle-même et ses identités. L’enjeu est économique, politique, social et sociétal. Qu’elle soit réussie, et les années qui suivront la période d’adaptation pourront offrir d’intéressantes perspectives. Mais si elle est l’objet de calculs politiques, de manque de courage, de la prédominance des intérêts particuliers sur l’intérêt général, elle pourrait être fatale à un pays bien plus mal en point dans sa structure politique qu’au niveau économique.

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Commentaire de Pierre hyrien le 16 juillet 2014 à 11:14

un gouvernement yoyo , je fais ,je ne  fais plus , 

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