Sparlet dor an donvor ? Les portes du large sont-elles verrouillées ?

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C’est le plus grand paradoxe de la Bretagne. Comment expliquer que le trafic de nos ports ne dépasse pas 40 millions de tonnes, port de Nantes-Saint-Nazaire inclus, sur les 340 millions de tonnes enregistrées en France, alors que quatre cinquièmes des frontières bretonnes, soit près de 3000 kms, sont bordés par la mer. Le promontoire breton se trouve à un croisement exceptionnel, entre Rotterdam et Gibraltar. Pourquoi 20% des marchandises mondiales longent-elles nos côtes sans y faire la moindre escale. S’agit-il d’une fatalité technique, économique, stratégique, politique ? Est-il trop tard pour inverser le cours des évènements ?

Les sénateurs maires Michel Canevet (Plouneour-Lanvern, 29) et Joël Guerriau (Saint-Sebastien-sur-Loire, 44) ont récemment exprimé la nécessité de placer la mer au cœur du projet stratégique de la Bretagne, quand il est question de sa réunification. La Bretagne devrait être, selon leurs dires, la première région maritime européenne. À juste titre probablement, mais nous sommes loin du compte. Car bien que les échanges du commerce maritime mondial aient été multipliés par 3,28 entre 1970 et 2010, nous n’avons tiré qu’un piètre parti de cette évolution. La croissance du commerce maritime français a été trois fois moins rapide que la tendance mondiale. Le port de Rotterdam, avec ses 440 millions de tonnes échangées, est à lui tout seul plus important que tous les ports français rassemblés. Pis encore, la part relative de la Bretagne a diminué. Pendant ce temps d’immenses complexes portuaires ont vu le jour en Asie. En dix ans, Shangaï, Singapour et Tianjin, ont pris l’avantage sur les plus grands ports d’Europe. Parmi les dix ports les plus importants du monde, il ne reste guère que Rotterdam qui ne soit pas asiatique. Regardons les choses en face, il n’y a aucun rapport entre Brest et ses 3 millions de tonnes, ou même Nantes-Saint-Nazaire et ses 32 millions de tonnes, et le port de Shangaï dont le trafic s’élève à 736 millions de tonnes.

Maîtres des mers
Et pourtant, les bretons peuvent s’enorgueillir d’un glorieux passé maritime. Il suffira pour s’en convaincre de lire Quand les bretons peuplaient les mers, d’Irène Frain, Europe rends-nous la mer ! d’Yves Lainé ou encore La fortune venait de la mer, de Jean-Pierre Thomin… Nos marins et armateurs ont été les maitres des mers. Des cargaisons de toile, vin, sel, ou de céréales étaient transportées dans le monde entier.
Nous sommes en 1533, juste après que la Bretagne ait été rattachée à la France. A Arnemuiden, avant-port d’Anvers, qui est alors la plus grande place de commerce d’Europe, 81% des navires enregistrés sont bretons, soit 815 navires sur 995. 270 d’entre eux viennent de Penmarc’h ! A Bordeaux, à la même époque, la moitié des chargements sont effectués par des navires bretons.
Quand il sera question d’explorer le globe terrestre par voie de mer, de célèbres noms s’illustreront en Bretagne : Jacques Cartier, Jacques Cassard, Kerguelen… Au XVIème siècle, un important comptoir commercial est géré par des Bretons près de Séville. L’histoire de Lorient est indissociable de celle de la Compagnie des Indes au XVIIIème siècle. La Compagnie s’était choisi une devise emblématique, qui mériterait que nous la fassions nôtre aujourd’hui encore : Florebo quocumque ferar, je fleurirai partout où je serai portée…En 1752 fut fondée à Brest la première Académie de Marine, qui fut supprimée pendant la révolution pour renaître en 1921. Le développement de Nantes est lié aux Antilles, si peu glorieux que fût le commerce triangulaire et la traite de noirs. Peu après, les noms de Colin, Amieux, Cassegrain, Saupiquet, entrent dans l’histoire. Ils sauront tirer parti de l’appertisation inventée par Nicolas Appert dès 1790. Les usines de conserves et en particuliers les usines de conserve de poisson vont alors se multiplier. On ne saurait évoquer Douarnenez sans mentionner l’histoire des sardiniers, pas plus que Saint-Malo et Paimpol sans rappeler le passé des morutiers frayant aux alentours de Terre-Neuve ou de l’Islande. Pour faire court, la Bretagne a toujours été prospère quand fleurissait sa flotte de commerce. Aussi peut-on situer l’âge d’or de l’économie bretonne aux XVème, XVIème et XVIIème siècles.

Le temps du reflux
Comment expliquer que la Bretagne ait alors tourné le dos à la mer ? Les raisons politiques viennent en tête, fort probablement. Une fois perdue son indépendance, ce sont les grands de France qui ont présidé aux destinées de la Bretagne. Or ils étaient tournés vers le continent plus que vers la mer, notamment pour des raisons de patriotisme économique. Les guerres des rois puis des empereurs de France ont détourné la Bretagne de ses marchés naturels : l’Angleterre, les Pays-Bas, l’Espagne… Le blocus continental décrété par Napoléon contre l’Angleterre, coupe nos ports de ce partenaire commercial de toujours. Brest et Lorient se voient assigner une mission militaire. Le danger vient de la mer. Il est plus important d’organiser la défense que de commercer. Pour couronner le tout, Nantes, premier port breton, est depuis 1941 situé dans une région administrative qui n’est plus la Bretagne…
Des arguments techniques peuvent aussi être avancés. L’évolution de la navigation s’accompagna d’une rapide augmentation de la taille des navires, et des ports comme Landerneau, lequel fut premier port du Finistère fin XVIIIème,  ne furent plus en mesure d’accueillir les grands bâtiments. Le développement du chemin de fer porte enfin un coup fatal à ces petits ports.
Après la disparition du commerce de la toile, qui s’appuyait sur des ateliers artisanaux dans l’arrière-pays, la Bretagne manqua la première révolution industrielle. L’intérieur du pays, aujourd’hui communément désigné comme l’hinterland, ne parvint plus à fournir de quoi alimenter suffisamment notre trafic portuaire.
On a parfois entendu que les Bretons étaient meilleurs marins que commerçants. Ils ne seraient jamais parvenus à s’entendre pour développer des entreprises commerciales de la dimension de celles que l’on connait en Hollande par exemple. Il s’agirait là d’un trait de leur caractère… C’est peut-être vrai. Pourtant la vitalité des réseaux commerciaux bretons tels que nous les connaissons aujourd’hui nous donne quelques raisons d’en douter.

De nouveaux chemins à tracer
Quoiqu’il en soit, le mal est fait. Quelles sont les marges de manœuvre? Nos ports ne sont pas en mesure d’accueillir des super-tankers. Leur tirant d’eau est trop important et le marché est verrouillé par les grands ports. Qui plus est, les ports bretons n’ont pas été choisis par l’Etat français. Celui-ci a investi 1,5 milliard d’euros dans le port du Havre pour la construction de six quais capables d’accueillir de grands porte-conteneurs. Dans le même temps, la Région Bretagne a financé un programme d’investissement de 230 millions d’euros dans le port de Brest. Le jeu n’est pas égal !  A l’instar de Brittany ferries à Roscoff, nous sommes voués à tracer nous-même notre route : réparation marine, énergies marines renouvelables, autoroutes de la mer, feedering, autre nom du cabotage qui nous relie aux plus grands ports. L’avenir n’est pas écrit. Ce qui semblait gravé dans le marbre peut rapidement basculer. Voyez plutôt : en 2015, sitôt que seront achevés les travaux d’élargissement du canal de Panama, les plus grands bateaux du monde pourront le traverser, à moins qu’ils n’empruntent la Route du Nord, nouvellement rendue praticable par la fonte de la banquise… Un jour ou l’autre, si longtemps dussions-nous attendre, la Bretagne tirera profit de son exceptionnelle situation à la pointe de l’Europe, et les portes de l’océan s’ouvriront.

Rouvrir les portes du large
C’est le plus étonnant paradoxe de la Bretagne. Avec 3000 kms de côtes, les ports bretons, qui connurent un prestigieux passé maritime du 15ème au 17ème siècle, sont devenus des nains. Les causes de ce déclin sont techniques, économiques et politiques… En tournant le dos à la mer pour s’orienter vers un destin continental contre-nature, la Bretagne a manqué son rendez-vous avec l’extraordinaire développement du commerce maritime mondial. Saura-t-elle trouver les clés des portes du large pour renouer avec son destin ?

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Commentaire de DWRDAN le 17 avril 2015 à 9:48

alors, que La Région (dans un premier temps!...) se dote des moyens nécessaires et suffisants pour EXIGER de l'état français par sa marine interposée, un loyer révisable pour occupation de notre domaine portuaire! Brest récupérera une partie de sa mytiliculture /conchiliculture, etc...Quant à nous électeurs bretons soyons ENFIN responsable de nos choix avant d'incriminer les SNLE/SNA/CGT et autres éléments plus ou moins imposés par stratégie politique et ou nécessité de la part du plus fort actuellement.La LOI du CHOIX et affaire de responsabilité individuelle avant d'être collective !

Commentaire de PARISSE PHILIPPE le 17 avril 2015 à 8:44

Nous savons très bien que ce n' est pas la CGT qui bloque le développement du port de Brest , ça serait trop simple et pas sérieux mais c' est bien le Préfet Maritime et la présence d'une base de sous-marins nucléaires qui perturbent la circulation des navires : il suffit de voir quand ils font des essais en rade, tous les mouvements sont consignés ; c' est bien la Marine Nationale qui s' est opposée à prêter ses quais inoccupés pour la création d' un chantier de démolition des vieux navires civils ou militaires : conséquences, des gros navires comme la Jeanne d'Arc et d'autres sont partis se faire déconstruire ailleurs ; Brest est la plus grande base nucléaire d' Europe , c' est un choix fait par l' Etat donc pas de place pour un grand port marchand 

Commentaire de Kernovac'h Phil le 17 avril 2015 à 0:26

nous avions des grands port mais il y a la CGT ,une Centrale Gangrenant Tout , qui est devenu une mafia chez les dockers ,les importateurs perdent 2 jours de mer mais ne risquent pas de perdre la cargaison avec une greve surprise , puis viennent les taxes  voyez ce document du sénat

 http://www.senat.fr/rap/r97-345-3/r97-345-319.html 

Commentaire de DWRDAN le 16 avril 2015 à 11:09

Probablement parce que nous n'avons pas été assez vigilants vis à vis de la france, pour imposer en Bretagne  l'amorce d'une économie réaliste en matière d'évolution mondiale des activités maritimes(pêche y compris) et surtout portuaires, rendant nos installations d'accueil des grosses unités, opérationnelles; nous regardons le Raz de Sein, par exemple, développer son énorme trafic vers l'Europe du nord, pendant que l'unique(!?!) porte-avion de la marine française fait bien souvent des "ronds dans l'eau" à Brest, pour des problèmes d'arbre d'hélice par exemple !Quand pourrons-nous, bretons, ENFIN nous tourner vers l'avenir océanique au niveau mondial tant économique que social et culturel, autrement qu'exclusivement...sportif ? Enfin quoi! l'avenir économique de la Bretagne est avant tout intégré à L'ARC ATLANTIQUE; derrière nous...le reste suivra!

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