Exiger aujourd’hui la réunification de la Bretagne est bien autre chose que la simple réclamation d’une réparation historique ou la stricte expression d’une revendication identitaire, comme trop souvent présentées. Si le rétablissement de la Bretagne dans ses frontières historiques est une demande légitime, réponse aux mesures géopolitiques de démantèlement opérées pour contrôler la région dans le passé, cette revendication porte aussi les espérances d’une population (« d’un peuple » même – Jean Marie Le Clézio -) soucieuse de maîtriser son avenir dans un contexte européen et mondial où les concurrences sont âpres, la volonté de « vivre au pays » et de s’affirmer, justifiées.

Car exiger la réunification, c’est tout d’abord rompre avec un processus de domination qui a conduit depuis plusieurs siècles à cette situation de mise sous tutelle d’un territoire. Après une phase de décentralisation et d’aménagement équilibré du territoire inespérée dans les années 1960/80, elle revient actuellement sous forme d’un néo-jacobinisme sous couvert d’une adaptation à la mondialisation. La crispation de l’État français, affaibli par la crise économique et l’usure de son système démocratique, le conduit en effet actuellement à renforcer son centralisme au profit du Grand Paris, à craindre l’émergence de courants identitaires qui le feraient éclater, comme en d’autres lieux d’Europe.

En cela le développement de la métropolisation, réaffirmé dans l’Acte III de la décentralisation de Janvier 2014, constitue une nouvelle mise en cause de l’unité régionale, tout en prétendant constituer un moyen de lutter contre la crise. Cette vision économiste ultralibérale constitue un élément fort de déstabilisation de la région car elle considère que la polarisation des territoires, accompagnée d’une mobilité sans contrainte des populations, s’adapte le mieux aux contingences fluctuantes des marchés et que la métropolisation qui en résulte, est indispensable à leur développement et à leur insertion dans la mondialisation. Si la création de richesse est bien au rendez-vous en ces lieux privilégiés, elle ignore par contre les hommes, leurs équilibres sociaux et territoriaux dans les espaces environnants. L’ordre uniforme de la ville, dédiée à la seule économie marchande, s’impose. De nouvelles frontières se créent, fracturant les régions, opposant les classes sociales, ignorant et malmenant les identités. Ce choix si important pour l’avenir de nos sociétés, opéré sans débat, ni la moindre consultation du peuple, hors de toute décision démocratique, méprise le citoyen. Les identités héritées de longs siècles de vie commune éclatent, l’Égalité chère à la République est bafouée. Elle n’existe plus entre territoires, entre citoyens. L’État républicain sape ainsi ses fondements.

En réponse à cette concurrence organisée, les populations délaissées réagissent. Le mouvement des Bonnets Rouges, aussi complexe soit-il, en tire son origine et son essence. Un autre modèle plus démocratique et solidaire est réclamé ; une autre relation au travail et à l’économie espérée, un projet de société plus juste et plus autonome revendiqué. Car pour vivre, une société a besoin d’un projet, de le porter, et non de subir des choix qui lui échappent. Ce dernier doit être mobilisateur et obtenir l’adhésion du plus grand nombre. Il doit par ailleurs trouver ses ressorts dans l’histoire de la communauté, les spécificités de ses milieux de vie et non être ainsi imposé aux populations.

En cela, la Bretagne possède une chance féconde : son territoire et ses hommes. Nos campagnes, à la différence de celles de nombreuses régions françaises, ne sont pas mortes. Y subsistent une vie sociale, des activités économiques productives (primaires et industrielles), une organisation particulière fondée sur les réseaux de villes moyennes, villes-pays en lien avec leurs bassins de vie environnants où percole encore une activité industrielle que soulignait, il y a 20 ans déjà, Michel Phlipponneau[1]. De ce maintien sur place des hommes résulte une vitalité culturelle et ce fort sentiment d’appartenance à un territoire. Cette identité particulière mais ouverte aux autres, si bien décrite par Jean Michel Le Boulanger constitue une force, une chance[2]. Avec de tels atouts, elle peut préparer l’avenir d’une manière stable pour peu qu’on la sollicite, qu’on lui en donne les moyens politiques. C’est d’ailleurs tout le sens des transferts de compétences et de l’autonomie financière réclamés par la Région, de ce projet d’Assemblée de Bretagne[3] revendiqué dans le cadre de la réforme territoriale en cours. L’adéquation territoire/société/identité constitue le fondement de ce projet d’avenir auquel aspirent de nombreux Bretons. En cela la réunification territoriale, si symbolique, constitue le premier pas de l’élaboration d’un projet commun et novateur, la preuve de la confiance accordée par l’État au citoyen.

Yves LEBAHY
Président de l’association « Géographes de Bretagne »
18 Octobre 2014

[1] Michel PHLIPPONNEAU, Le modèle industriel breton 1950-2000, Presses Universitaires de Rennes, 1993.

[2] Jean Michel LE BOULANGER, Etre Breton ? , Editions Palantines, Octobre 2013.

[3] Daniel CUEFF, La Bretagne, un horizon démocratique pour notre République, Le temps Editeur, Septembre2014.

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