La Bretagne réunifiée, un danger pour l’unité de la France ?

Si l’on en croit les propos tenus officiellement et ceux rapportés en off, il semblerait que la Bretagne fasse toujours peur à la France. 500 ans après le mariage du Duché au Royaume, nombreux sont ceux, dans la classe politique française ou parmi son élite intellectuelle, à craindre qu’en accordant la réunification à la Bretagne, cette dernière ne décide de prendre son destin en main. A ce titre, les cas catalans et écossais, auxquels pourraient s’ajouter la Flandre, le Pays Basque ou la Vénétie, ont alimenté les peurs parisiennes de voir un mouvement similaire se développer dans la péninsule.

C’est en tout cas ce qu’auraient considéré le président de la République, François Hollande, et le Premier ministre, Manuel Valls, si l’on en croit quelques indiscrétions parues depuis dans la presse. L’un comme l’autre ont vu dans la réunification la première étape vers de nouvelles revendications bretonnes. Ce serait pour ne pas prendre ce risque que l’idée a été rejetée, ou qu’elle n’aurait été acceptée qu’au prix d’une fusion avec les Pays-de-la-Loire.

Au lendemain de la présentation de la nouvelle carte des régions, lors d’une interview sur France Inter, le géographe Hervé Le Bras, en présence du secrétaire d’Etat à la Réforme Territoriale André Vallini est même allé plus loin. En réaction à la question d’une auditrice au sujet de la réunification, M. Le Bras a répondu que ne pas l’avoir fait était une bonne chose car «la reconstitution de la Bretagne est un vrai danger pour l’unité de la France», craignant une situation identique à la Flandre, l’Ecosse ou la Catalogne.

Le problème n’est pas forcément nouveau, depuis la Révolution, la République se méfie de la Bretagne. Principalement du fait de sa tradition de révolte. Mais également du fait de sa spécificité, dans sa langue, ses coutumes, ses habitudes vestimentaires, sa culture. Au XIXe siècle, un sous-préfet de ce qui était alors les Côtes-du-Nord avait clairement proposé à l’administration centrale, à Paris, la mise en place d’une politique colonialiste en Bretagne. Un point de vue en partie appliqué par la suite.

Comment ne pas se souvenir également, en 1870, alors que le Second Empire confronté à l’invasion de la Prusse et que la mobilisation se fait, de ces soldats Bretons, qui, au même titre que leurs camarades vendéens, se retrouvent stoppés, désarmés et placés dans un camp dans la Sarthe, par l’armée, de peur, là encore, qu’ils se révoltent? Une époque suivie par celle de la campagne de débretonisation intense, menée durant la IIIe République, afin d’unifier la Nation.

Et que dire du sacrifice des départements bretons, durant la Première Guerre Mondiale, qui voient près du quart de leurs appelés ne jamais revenir, plus qu’aucune autre région de France, plus que les grandes villes d’alors, Paris et Lyon en tête, qui n’auront «que» 10% de leurs appelés à être tués sur le front. Certains de ces morts bretons ont même été fusillés tout simplement parce qu’ils n’avaient pas compris les ordres, ne parlant que Breton.

Durant la Seconde Guerre Mondiale, si la République a fait le choix de se concentrer et mettre en avant les quelques dizaines d’indépendantistes bretons ayant fait le choix de la collaboration, comment occulter le lourd tribut payé par la Bretagne à la reconquête du territoire national? Que ce soit dans la Résistance ou dans les Forces Françaises Libres, les Bretons ont plus que participé, ils étaient aux avants-postes. L’Histoire a retenu les marins de l’Île de Sein répondant à l’appel du 18 juin, elle aurait tout aussi bien pu retenir ceux du Légué le devançant.

Ce que l’Histoire enseignée a souvent tendance à occulter, c’est le fait qu’avant le Débarquement, les Etats-Unis avaient choisi de placer les territoires français nouvellement libérés sous administration militaire. C’est grâce, également, au fait qu’une bonne part de la Bretagne, à l’exception des villes portuaires farouchement défendues par les Allemands, s’est libérée seule. la Résistance a ainsi pu mettre en place sa propre organisation en lien avec les Français de Londres, poussant les Américains à renoncer à leur idée.

Plus près de nous, ceux qui ont assisté aux finales de coupe de France en 2009 et 2014, entre le Stade Rennais et l’En Avant Guingamp, ont pu mesurer l’attachement de la majorité des Bretons à la France, en entendant l’hymne national repris avec ferveur par l’ensemble du public. Un hymne qui fait bien entendu partie de la fête et du décorum de cette finale mais auquel nombre de spectateurs n’ont pas montré autant d’importance par le passé, certains le sifflant carrément.

Mais au final, est-il réellement nécessaire de rappeler ces faits? En partie, car ils composent l’imaginaire breton et sous-tendent chez certains le besoin de reconnaissance de la part de la République, pour tout ce qu’a pu apporter, et qu’apporte toujours, la Bretagne à la Nation. Le plus souvent avec fierté, les Bretons ayant, peut-être plus qu’ailleurs, intégré le discours de destin commun, parfaitement en ligne avec les valeurs de leur région.

Pourtant, la vraie question, le vrai problème qu’affronte la France depuis une bonne dizaine d’années, c’est la question de sa propre identité. Face à la mondialisation, face à l’Europe même, chahutée par la crise, l’identité française est remise en question. Avant tout parce qu’elle ne s’est construite qu’autour de symboles, parmi lesquels le plus fort est en même temps le moins spécifique, car commun à d’autres pays: la langue. Par opposition à ces interrogations, l’identité bretonne se vit, pour beaucoup de Bretons, très sereinement, avec fierté mais pas de manière exclusive. Les enquêtes d’opinion le prouvent: très nombreux sont ceux à se considérer comme étant Breton, Français, Européen.

Il est à ce titre toujours amusant de constater que ceux, en France, pour lesquels l’identité bretonne doit, enfin, venir se noyer dans l’identité française sont précisément ceux qui refusent toute assimilation de la France dans un ensemble plus vaste. Car à l’échelle du monde, et même de l’Europe, la France est une sorte de Bretagne, une nation dont l’influence se réduit peu à peu mais qui ne se résout pas à renoncer à son passé glorieux, à raison.

La France est, et a toujours été, une nation multiculturelle, ce qu’elle n’a jamais su accepter car pour ses élites politiques et intellectuelles, cet état de fait était le risque de voir l’ensemble éclater. Cette crainte n’est historiquement pas sans fondement car, au même titre que le Royaume-Uni ou l’Espagne, le territoire national s’est constitué à coup de conquêtes ou de mariage, plus ou moins forcés, comme dans le cas de la Bretagne. Il s’agit d’un territoire, l’Île-de-France, qui domine du coup tous les autres. La centralisation exacerbée et la concentration des richesses nationales sur une région donnée en sont les preuves les plus manifestes.

En faisant le choix de ne pas répondre aux aspirations bretonnes pour la réunification, pourtant encore largement majoritaires si l’on en croit les récents sondages, en envisageant même une fusion avec les Pays-de-la-Loire, alors que les Bretons étaient, de tous les Français, les plus opposés à la dilution de leur région dans un ensemble plus grand, le gouvernement, et un certain nombre de politiciens bretons, n’ont sans doute pas compris qu’ils manquaient une occasion, au final très simple, de prouver à beaucoup de Bretons qu’ils étaient bien des Français comme les autres, traités avec égard.

La France s’est construite sur un modèle colonial, au sein même de ses frontières, et c’est aujourd’hui cette organisation territoriale qui pose problème face à la mondialisation qui impose plus de réactivité dans les régions. C’est à cette problématique que la réforme territoriale cherche, à raison, à répondre. Mais comme la crainte des identités et particularismes locaux est toujours présente, les régions nouvellement créées ne répondent à aucun autre critère que des éléments techniques. Provoquant la grogne à laquelle on peut assister depuis la présentation de la carte.

Le problème réel, en définitive, auquel la classe politique française doit faire face, c’est le renouvellement de son propre logiciel de pensée. Car à force de vouloir nier l’évidence, à force de refuser à la Bretagne sa spécificité au sein de la République, que de plus en plus de Bretons semblent réclamer, l’appareil politique français pourrait parvenir à une prophétie auto-réalisatrice: pousser un certain nombre de Bretons à se dire que leur territoire serait peut-être mieux hors de France. Et si au final, le vrai risque pour l’unité nationale provenait de la perception erronée qu’ont les élites françaises des territoires, et de la Bretagne en particulier ?

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Commentaire de Fréhel Françoise le 23 septembre 2014 à 11:18

Très intéressante analyse. Le centralisme français est une vieille histoire qui n'a malheureusement pas été changée par la révolution (qui s'est terminée par l'empire napoléonien!) ni par nos nombreuses constitutions. La dernière phrase est tout à fait exacte.

Commentaire de INQUEL le 20 juin 2014 à 12:24

merci  ! je trouve toujours stupide de nous "réduire "à 1 lieu géographique et à une seule identité . je suis de Lanester pour des gens de Lorient ;je suis de Lorient quand je suis à Rennes ,et je suis bretonne quand je suis a Nice chez mon fils et pour continuer : ,je suis française à Barcelone ou a Bamako et européenne si j'allais voir un copain installé  en Australie depuis 30 ans . Nous n'avons pas des racines au contact du sol mais des pieds voire, sans ou  avec des chaussures et ;avec ou sans des semelles de vent comme dirait le poète !  quand je travaillais encore , je me souviens d'un jeune ,né a Lorient mais sa famille venait de Turquie , qui se sentait dun quartier de Lorient  "bois du château" et faisait le coup de poing avec "ceux de Kervé" un autre quartier mais quand venait le moment d'aller voir la famille en Turquie ,sur les aires d'autoroute ,il sympathisait avec tous les 56 donc je lui disais :"tu vois bien que c'est idiot ces frontières , la preuve ,là tu parles avec des gens qui sont peut être du quartier de kervénanec ou de vannes ou de Pontivy  et là tout ce qui compte c'est qu'ils viennent du 56 ; celà montre bien ce qu'est le sentiment d'appartenance à un groupe ; ça bouge sans cesse et c'est tant mieux car on a besoin de souplesse mentale plus que jamais

Commentaire de tiph le 19 juin 2014 à 20:05

j'aime beaucoup le commentaire  d'INQUEL c'est aussi ma philosophie . je me sens comme l'oignon et les membres  de ma famille aussi depuis plusieurs génération. 

Commentaire de TYDARKTRISKELL le 19 juin 2014 à 15:05

A force de tirer sur la corde notre gouvernement nous pousse de plus en plus à nous sentir d'abord BRETONS, puis CELTES, puis FRANÇAIS et enfin peut-être Européens

Commentaire de Valeria le 17 juin 2014 à 22:49
Pour nous c'est la même chose avec rome.la venetia est la zone industrielle d'italie!nous avons une histoire millenaire,une langue,une tradition litteraire...et un systéme économique tallement radiquè qu'il peut résister a la pire crise globale.
Breizh da viken...et veneto libaro...gwened gho bragh!!!kenavo
Commentaire de INQUEL le 17 juin 2014 à 22:20

l'identité c'est comme un oignon ! une peau citoyen du monde ,une peau européen ,une peau français ,et au coeur de l'oignon:  breton !

Commentaire de dom serin le 17 juin 2014 à 21:31

Belle analyse, mersi braz

Commentaire de Marie-Claude QUEFFEULOU- le 17 juin 2014 à 15:13

Fort belle analyse. Enfin l'histoire de Bretagne telle que l'on devrait l'enseigner. C'est exactement ce que j'ai pu entendre de la part de membres de ma famille bien au fait de l'histoire de notre pays.Cette explication claire devrait être présente dans les cours d'instruction civique!!!!!!!!!!!!!

Commentaire de Kernovac'h Phil le 17 juin 2014 à 14:01

pour ma part  c'est :  Breton ,Francais Catholique et europeen en dernier .La cohésion des Bretons gène la nomenklatura en place d'autant plus l'actuelle qui nuis a l’état depuis deux ans ,et celle qui l'a précédé et espère finir de nous pressurer en revenant ,  preuve en est leur volonté d'effacer l'identité de la nation en supprimant les départements les régions et en autorisant l'implantation d’édifice religieux d'un autre age et d'autres contrées aidé en cela par des bobo écolo prompt a manifester pour la sauvegarde de 2 ou 3 lapins sauvage sur un terrain mais laissant la construction d'un bâtiment de 17 mètres de haut accueillant 1200 places assises , cela aussi fait partie de la perte de notre identité 

Commentaire de LAURENT Irène le 17 juin 2014 à 13:17

Belle analyse. Il n'y avait pas que les sénans à l'appel du 18 juin, le premier village résistant de France est Trédudon le Moine dans les Monts d'Arrée.

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